Aspiole

Le sable du sourire

Vendredi 18 mars 2011 à 5:45

Il est peut-être beau. Il est peut-être moche. Certains diraient hideux, d'autres diraient splendides. De ces beautés qui n'existent que dans l'oeil et dans le caractère de ceux qui la regardent. Il avait un regard éthéré, flasque, sordide, et désespéré. De ces regards issus d'un marais, qui n'ont plus de flammes et qui ont pourtant l'intensité du néant.
Il n'y avait pas d'étincelle dans sa marche, et si on se retournait souvent sur lui, c'était avec un sourire narquois. J'avais vu quelques personnes le regarder lorsqu'il était monté dans la rame. Je ne pense pas qu'il faisait attention à leurs regards. Il les voyait, il les sentait s'attarder sur lui, mais il n'y prêtait pas d'importance. Son être tout entier était un trou béant, et suscitait le malaise. Le malaise par cet oeil qui n'était ni terrifié, ni violent, mais empli de la terreur et de la violence que les gens y plaçaient, que son intensité sublimait.

Ses vêtements étaient passe partout. Il ressemblait à ces ombres, à ces espèces de stéréotypes que la télé nous montre, non dans les personnages des séries, mais dans les figurants, ceux qui marchent au loin dans le paysage. Il est descendu de la rame. J'ai laissé la porte se refermer derrière moi. Il marchait. Je ne savais plus où j'étais dans cette immensité qui se nomme la ville. J'allais, je le suivais, comme on suit ces inconnues dans la rue, du regard. Mon regard était un pas. Et je ne me détournais pas de lui.
Savait-il véritablement où il allait ? Je n'aurais su le dire. Nous recroisâmes une ligne, ce qui me fit penser que ce n'était pas le cas. Je le regardais sans cesse. Comme ces démons que l'on n'ose quitter du regard tant on craint qu'ils disparaissent. Je le voyais déjà aspiré par son propre néant., lui, ce doigt levé face au léviathan matérialiste craintif et lâche de la société, lui, ce rire qui ne change rien, ce rire fade et lourd, ce rire qui ne rit même plus, ce sourire qui ne sourit pas, disparaître, engloutis par sa propre vacuité.
La ville était emplie de ce bruit silencieux. Ce bruit qui, parfois, dans un souffle de vent, se lève comme un rideau, tout en demeurant présent. Je n'aurais su si c'était lui, ou moi, qui avait soulevé ce rideau, mais le fait est que nous étions en dessous. Qu'importe les marteaux piqueurs, les hurlements de sirènes, les métros et les voitures, les trains et les avions, les discussions aux téléphones et les bruits de pas, tout semblait fait pour couvrir le silence.

Il se retourna brusquement, et vint se coller contre moi. Son regard se ficha dans le mien, et j'y lus plus encore que ce qu'il fit. A-t-il pris mon visage entre ses mains pour l'attirer brusquement vers lui ? Oui. Mais il l'a stoppé avant ses lèvres. Ou les a-t-il nouées en m'arrachant les miennes, de sorte qu'un peu de mon sang passe dans sa bouche ? Je ne sais plus. Je ne sais plus si j'ai rêvé cet instant où nous étions nu, cet instant où nous nous sommes aimés, au beau milieu de cette journée d'un automne maussade. Je sais juste que je n'ai cessé de me noyer dans son regard, derrière ses paupières comme planté en moi, ce regard qu'il distillait dans ses caresses, dans ses reins, dans sa queue et dans ses lèvres. Cette vacuité et cette vanité, ce risible moment qui ne signifiait rien, et signifiait tout.

Je me suis éveillé dans un appartement. Un appartement vide, en lambeau. Il était parti. Il ne reviendrait pas. Il n'y avait pas eu besoin de mots, pas eu besoin de paroles. Je n'ai pas connu le son de sa voix. J'ai connu le néant.

J'ai vu sa photo hier. Dans le journal. Le type qui tue trois policiers avant d'être abattu. Et toujours ce regard. Ce regard qui n'a pas changé entre sa vie et sa mort. Il était nu dans les rues de la ville. Il était nu, et la peau en lambeau.

J'ai retrouvé du sang sur mes ongles.

Casdenor

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